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- Assurer le risque climatique ? L'affaire du public et du privé
Face à l'intensification des fléaux climatiques, le monde de l'assurance va inexorablement augmenter ses primes. Se posera alors la question de la solvabilité des assurés, et donc de l'intervention de l'Etat, analyse Denis Kessler dans une chronique publiée dans le quotidien Les Echos le 26 octobre 2022.
Les catastrophes liées au climat se multiplient et leur gravité augmente sans cesse. Inondations en Australie et en Afrique du Sud, sécheresse au Brésil, orages de grêle en France, typhons au Japon, ouragans aux Etats-Unis… On estime que le coût économique de l'ouragan Ian qui a frappé la Floride atteint 100 milliards de dollars, dont 60 % environ seraient assurés. Depuis janvier, le coût économique des catastrophes naturelles dans le monde s'élèverait à 250 milliards de dollars.
Le changement climatique est bel et bien un risque global : aucune région du monde n'est épargnée. C'est d'ailleurs le premier risque véritablement global dans l'histoire. Dès lors, les péréquations entre régions ou entre périls sont moindres, et la diversification joue moins qu'auparavant. Même si la prise de conscience du risque climatique est de plus en plus prégnante et si les actions pour limiter le réchauffement se multiplient, le scénario le plus probable est bien celui d'une augmentation des catastrophes dans les années à venir. Ceci pose la question de la capacité du secteur de l'assurance à faire face à cette montée des risques.
Assureurs et réassureurs sont au premier rang en matière de catastrophes naturelles et ont une conscience aiguë de ces développements. Ce sont eux qui supportent in fine l'essentiel du coût des dommages. Et ils agissent pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique et promouvoir la transition énergétique. Au niveau de leurs placements, en désinvestissant des actifs à forte émission de carbone, et au niveau de leur souscription des risques, en réduisant ou supprimant la couverture des activités les plus polluantes.
D'aucuns prétendent que les désordres croissants de la nature pourraient créer un risque d'insolvabilité, voire un risque « systémique », pour l'industrie de la (ré)assurance. Cette affirmation est infondée. La couverture des catastrophes naturelles se fonde sur le principe de répartition, selon lequel les primes de l'année doivent couvrir les sinistres anticipés de la même année. Lorsqu'un déficit apparaît en raison de l'augmentation du coût des catastrophes, les tarifs s'ajustent en hausse et les conditions des contrats « se durcissent » (franchise, exclusions…) l'année suivante. Il n'y a pas de provision pour les catastrophes susceptibles de se produire dans x années : qui accepterait de payer des surprimes importantes pendant des années pour un risque aléatoire de long terme ?
De fait, toute dégradation de la sinistralité se traduira tôt ou tard par un renchérissement des couvertures. Cette hausse des tarifs pourra se heurter à la capacité et/ou à la volonté des particuliers et des entreprises à payer les primes d'assurance correspondantes. Si la demande d'assurance baisse et une partie croissante de la population n'est plus couverte, les pouvoirs publics se retrouveront en première ligne, sommés d'agir par l'opinion publique. Dans le pire des cas, l'événement catastrophique deviendra si récurrent, « permanent », certain, qu'il ne sera plus un risque à proprement parler. Sans aléa, pas d'assurance !
Aussi le risque d'insolvabilité des (ré)assureurs avec la montée des risques climatiques est quasi nul : l'offre d'assurance se renchérira et se contractera, et la demande sera de moins en moins satisfaite. C'est la solvabilité des assurés, et non des assureurs, qui est donc menacée à terme ! Compte tenu des conséquences négatives plurielles (y compris sur l'immobilier et le marché hypothécaire) pour l'ensemble des agents économiques, l'Etat devra intervenir. Ceci milite de plus en plus en faveur de partenariats public-privé innovants combinant les capacités du marché et la capacité de l'Etat, réassureur en dernier ressort, pour protéger les populations.