Après le choc…

Nous serons tous appelés à payer le coût très important de la catastrophe pandémique, avertit Denis Kessler, Président-Directeur général de SCOR

Denis Kessler, CEO of SCOR

La pandémie est qualifiée à juste titre de choc sanitaire. Celui-ci s'est traduit par un choc économique. Les systèmes économiques et financiers se déforment sous la pression des chocs : on assiste à la fois à des phénomènes de contraction et à des phénomènes de dilatation.

Les phénomènes de contraction globaux sont patents : chute de l'activité économique dans chaque pays concerné ; baisse forte et brutale des PIB ; baisse de la consommation des ménages et des investissements des entreprises ; forte baisse de la capitalisation boursière ; diminution du commerce mondial… Les phénomènes qui se traduisent au contraire par une dilatation sont également visibles : hausse des dépenses publiques et sociales ; augmentation des déficits publics et sociaux et subséquemment des dettes ; explosion de la masse monétaire et des bilans des banques centrales ; hausse du chômage et de la précarité… Au niveau sectoriel, les évolutions sont encore plus marquées. Certaines industries subissent de très fortes contractions d'activité - restauration, tourisme, transport aérien, activité aéroportuaire… - alors que d'autres connaissent un véritable boom : télécommunications, jeux, livraisons à domicile, etc.

La grande majorité de ces effets globaux de contraction ou de dilatation sont dus à l'intervention des pouvoirs publics. Toutes les actions prises pour enrayer la pandémie - confinement partiel ou général, couvre-feu, restrictions à la mobilité… - ont eu des effets récessifs, sur l'activité économique que l'on a tenté de compenser par le recours aux moyens usuels appartenant à la pharmacopée traditionnelle de lutte contre les récessions économiques. Mais il y a une grande différence avec les autres récessions : son origine n'est pas économique, elle ne résulte pas d'un dérèglement endogène des équilibres économiques, elle ne s'inscrit pas dans un cycle habituel de court et moyen terme.

Le choc pandémique est « exogène » au système économique lui-même. Et ce choc n'avait pas été anticipé par les acteurs économiques et politiques. On a donc assisté à une vaste improvisation dans tous les domaines. Ce risque majeur avait été ignoré, sous-estimé, écarté. Le « risk management » public est totalement déficient. Cette impréparation a rajouté un coût supplémentaire au coût de la pandémie stricto sensu.

Les incertitudes sur les scénarios de sortie de crise résident dans les interrogations sur les réactions possibles des principales variables. Une seule certitude : les économies les plus « élastiques » s'en sortiront mieux que les économies les plus « rigides », catégorie à laquelle appartient malheureusement notre pays.

Pour un certain nombre de variables, il peut y avoir un vrai rebond, à l'instar d'un ressort compressé qui se détend. C'est sans doute le cas de la consommation des ménages, qui devrait augmenter fortement dès la fin de la pandémie. L'offre est plus visqueuse et prendra plus de temps à retrouver son niveau d'avant choc. Cette hystérésis devrait alimenter des pressions inflationnistes issues d'une augmentation de la consommation financée par une baisse de l'épargne de précaution accumulée pendant la crise.

L'autre phénomène où l'on a déjà observé un rebond est évidemment le marché boursier. Après un plongeon historique au début de la pandémie, les bourses ont globalement retrouvé leur niveau d'avant choc.

Pour d'autres variables, il existe une forte asymétrie entre la vitesse à laquelle la contraction s'effectue et celle avec laquelle elle disparaît. Ainsi, il est certain que la résorption de la dette publique prendra beaucoup plus de temps qu'il n'en a fallu pour qu'elle gonfle. La reprise - même forte - ne suffira pas à dégager des excédents primaires. En outre, tout gouvernement hésitera à augmenter les impôts en sortie de crise en raison de l'effet récessif d'une telle mesure.

Il en va de même pour la résorption de l'excès de liquidité créé par les banques centrales. Pour y parvenir, il faudrait augmenter les taux d'intérêt. On conçoit sans peine les hésitations des banquiers centraux. Toute décision de ce type aurait un impact très négatif sur la situation financière des Etats. Mal maîtrisée, la remontée des taux d'intérêt pourrait se traduire par un choc obligataire majeur.

Une partie de la fin non encore écrite de l'histoire de la pandémie réside dans les anticipations des agents économiques. Si les banques centrales perdent leur crédibilité, ce sont les porteurs d'obligations qui seront amenés à financer l'essentiel du coût de la pandémie ! Après un choc, il y a des phénomènes largement irréversibles, des pertes définitives : les pertes en vie humaine, les baisses de fécondité, etc. Des entreprises ne sont pas parvenues à survivre au choc. Tous les secteurs dont l'activité ne se « stocke » pas - notamment les services - ont définitivement perdu de la valeur. Les nuitées d'hôtel, les déjeuners au restaurant, les coupes de cheveux, etc. ont rejoint le cimetière économique. La formation de capital humain a aussi connu une détérioration marquée et durable en raison de la fermeture des écoles et des universités.

Nous ne reviendrons pas de sitôt à la normale. Nous serons tous appelés à payer le coût très important de la catastrophe pandémique, une ardoise de l'ordre de 10 % du revenu national. Beaucoup de questions restent ouvertes : remboursement demain, après-demain ou… jamais ? Au travers d'un alourdissement des prélèvements obligatoires ou d'une dévalorisation de l'épargne obligataire et d'une amputation du pouvoir d'achat par l'inflation ? Par toute la population, par les épargnants, par les contribuables les plus fortunés ou par tous les contribuables ?
 

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